Alissone
Perdrix


Maraîcher·e·s-Plasticien·ne·s
12.09.2022 - 16.09.2022
un atelier de pratique artistique sur les terres maraîchères de MARCONVILLE
proposé par Fabienne Flambard et Alissone Perdrix
Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis

En ce début d’année universitaire 2022- 23, implanter un atelier de pratique artistique
à l’adresse des étudiant·e·s de Licence 3 d’arts plastiques, sur les terres maraîchères de Marconville a permis de refonder un lieu de formation de pratique artistique où « l’agir plasticien » serait au cœur des questionnements.
En envisageant ce cours dans un milieu rural, nous avons cherché à confronter les étudiant·e·s aux processus provoqués par le déplacement des cadres de l’expérience plastique pour développer des projets artistiques qui permettraient de mobiliser des ressources issues de situations nouvelles et néanmoins fondamentales. Ils ont pu s’aventurer dans une expérience à éprouver et analyser ; une expérience qui favorise l’émergence du Sujet, accueille les exigences du désir et invite à tenter ou risquer une exploration articulant l’individuel et le collectif.
La ferme de Marconville se situe à Villers-Saint-Barthélémy, à une dizaine de kilomètres de Beauvais (1h 20 de Paris). Depuis une quinzaine d’années, Loïc Boulanger (ancien professeur de mathématiques) et Delphine Lucas-Leclin (ingénieure agronome) cultivent sur une trentaine d’hectares, des légumes en agriculture biologique. Malgré des terres initialement peu propices à la production de légumes, ils choisissent le maraîchage biologique et la commercialisation en vente directe sur le principe des AMAP. Le lieu interpelle parce qu’il ne réduit pas sa finalité à une production.
Sa mise en forme découle d’un réseau de rapports toujours provisoires et incertains et porte en creux les traces de cet engagement éthique. La manière dont Loïc et Delphine parlent de ce qu’ils font, n’a rien à voir avec une ingénierie didactique. Ils partagent avec humilité leurs doutes, leurs échecs, leurs bricolages — ceux qui ouvrent une configuration autre du savoir et qui invoquent un mouvement incident et des moyens détournés et inattendus. En renonçant à la maîtrise de tout, toute action maraîchère relève d’un essentiel inachèvement. Comment ne pas rattacher cet « agir maraîcher » imaginé par Delphine et Loïc, à l’intention artistique (mais aussi pédagogique) qui s’accomplissent en traversant des réalités mouvantes, imprévisibles, déconcertantes, donc vivantes !
Un gîte dans une des dépendances de la ferme a été aménagé pour accueillir des petits groupes. Étudiant·e·s, amapien·ne·s, stagiaires ... peuvent éprouver quelques temps cet autre rapport à l’espace et au temps, à la matière et à la lumière mais aussi cet autre rapport au travail où le corps se découvre à la fois fragile et plein d’énergie.
Ce cours, sous la forme d’un intensif, s’est déroulé pendant cinq jours consécutifs (du lundi au vendredi). Accueilli·e·s à la Ferme de Marconville pendant les trois premiers jours (du 12 au 14 septembre 2022 ), les étudiant·e·s ont alterné expression plastique et maraîchage : planter, filmer, faire pousser, peindre, cueillir en plein champ, dessiner sous serre, dégommer, performer avec le vent et la chaleur, creuser dans la terre, sculpter et photographier ... autant d’actes et de gestes propices au projet artistique et de recherche et d’attention au milieu. Ces trois jours ont été l’occasion d’une vie collective dans un lieu calme et convivial qui a permis de révéler aussi bien des complicités que des différences.
À tour de rôle, les étudiant·e·s ont préparé chaque repas à partir des produits récoltés à la ferme. Pour honorer les saveurs incomparables de ces produits locaux (tomates cerises, tomates rondes, courgettes, aubergines blanches et noires, pommes de terre...), les étudiant·e·s se sont investi·e·s. À l’issue de cette immersion, les deux derniers jours de l’intensif (15 et 16 septembre) se sont déroulés dans les ateliers de l’Université Paris 8.
Soucieuses de ne pas imposer des formes conceptuelles toutes faites, confiantes en ce lieu propice à l’expérimentation, nous nous sommes concentrées sur le possible déploiement d’un engagement poétique et plastique. Nous avons favorisé l’alternance de temps d’apprentissage et de temps de création sans jamais orienter les travaux naissants. En favorisant la pratique collective du maraîchage, les traces plasticiennes témoignent de participations plurielles : les étudiant·e·s n’ont pas seulement articulé plusieurs formes d’expressions — écritures ; photographie ; vidéo ; sculpture ; performance ; dessin — , mais se sont aussi emparé·e·s des questions transversales relatives à l’environnement, certes, mais aussi relatives au monde du travail, aux relations humaines (au collectif), aux représentations du rural, terreau propice à «libérer un certain nous».
Le 16 septembre, Delphine Lucas-Leclin et sa fille Jeanne ont participé à la présentation des travaux dans notre salle d’atelier. Les transpositions plastiques ont traduit des approches invues, inouïes, inconnues du site de Marconville qui ont surpris nos invitées.
Maraîcher·e·s plasticien·ne·s aura été une expérience fondatrice pour ce petit groupe d’étudiant·e·s. Le travail, les rencontres, la vie collective, les recherches éprouvés à la ferme sont autant d’ébauches de projet de recherche qui se déploient aujourd’hui en projet tutoré. Les décalages, les bouleversements, les transformations qui surgissent encore au moment où nous préparons cette publication démontrent que personne n’a échappé aux retentissements, volontaires ou non, de cette proposition pédagogique.