70 ans d'écart
01.2023-06.2023
Un projet développé par Alissone Perdrix et Fabienne Flambard dans le cadre des Parcours ACS (Autonomie, Culture, Sport) initiés et financés par la Conférence des Financeurs de Seine-Saint-Denis, et coordonnés par Esopa Productions. 70 ans d’écart est mené en partenariat avec le Labo de recherche-création Vieillir Vivant, l’Université Paris 8 et la radio Station Station.
Synopsis /
70 ans d'écart est une aventure collective et pédagogique organisée autour de binômes dont l'écart d'âge avoisine les 70 ans. C'est la rencontre entre un·e étudiant·e et une personne âgée durant plusieurs séances de co-création, mettant la transmission et le partage au centre du processus. Les binômes ou les trinômes ont inventé et réinventé au fil des séances, une conception de la pratique coopérative en éprouvant conjointement l’acte de création artistique.
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Station Station
Une aventure artistique collective hors-norme /
À partir de binômes de 70 ans d’écart, faisant se rencontrer un·e étudiant·e et un·e résident·e durant douze séances hebdomadaires, nous avons émis l’hypothèse qu’un partage temporaire de l’acte de création pourrait non seulement déplacer les représentations sur les processus de création artistique (communément admis comme émanant d’un désir et d’un acte individuel) mais aussi transformer le milieu dans lequel il se déploie et, corrélativement, bouleversement des routines et déplacement des allants de soi n’auraient pu avoir lieu. Le projet a pu ainsi déployer un temps ouvert et revêtir sa véritable fonction : être porteur de désirs d’un«élan vers», de « dépassements », de « possibles ».
Empreint des pédagogies coopératives et institutionnelles (C.Freinet, F.Oury), ce projet a cherché à questionner « la coopération », tantôt sur son versant opératoire au sein de la conception de l’acte artistique, tantôt en tant qu’élément de théorisation pour repenser les actes de transmission. Ce collectif atypique, composé de personnes d’âges et de cultures différentes, a éprouvé continuellement des formes de rencontres et des manières de produire des relations, qu’elles soient plastiques, culturelles, humaines, temporelles et géographiques. De séance en séance, iels se sont surpris·es à s’autoriser à quitter les rôles intériorisés d’étudiant·e·s et de résident·e·s pour participer à l’organisation des séances, notamment aux moments dédiés à l’exposition. La recherche imprévue et indéterminée portée par un collectif sans cesse en devenir n’aurait pu être possible si nous, enseignantes, n’avions pas accepté de nous séparer de notre vocation de « guide » pour qu’adviennent des engagements inespérés qui ouvrent des histoires non
écrites. Nos énergies se sont alors portées sur les manières de partager des traces de ce qui nous a dépassées et tout autant confortées dans nos choix pédagogiques. Les écrits, les courtes vidéos, les photographies,les captations sonores et l’édition, certes portent en creux les indices de quelques pépites qui ont surgi de ces rencontres, mais resteront bien loin de l’expérience de vie inoubliable que nous avons vécue.
PRATIQUES COOPÉRATIVES - PRAXIS /
En tant que point d’appui pour penser les actes de relation, « la pratique coopérative » n’a pas été définie au préalable afin de ne pas éteindre l’émergence possible du nouveau. Nous avons souhaité l’inscrire dans les aléas de la praxis qui ne se laisse pas fixer en termes déterminés, afin d’ouvrir le champ d’un processus indéfini dont l’autonomie et l’émancipation en sont les visées premières. Quel plus beau lieu pour éprouver cette praxis que la Résidence Autonomie Dionysia, qui allait être le milieu de pratiques effectives où l’autre et les autres sont visés comme l’agent essentiel du développement de leur propre autonomie (C. Castoriadis). À perdre de vue cette visée, toute pratique coopérative n’aurait comme finalité que la fabrication d’un objet et nous passerions à côté de ce qui produit des actes de différentiation. Si elle n’exclut pas la portée essentielle de l’acte de fabrication, elle cherche à élucider
les micro-événements singuliers et collectifs qui se sont développés et qui ont permis, chemin faisant, que des réa- lités autres viennent se frotter aux réalités existantes et dérigidifient les sutures et les dépendances établies. Paradoxalement, pour que de telles pratiques puissent exister, elles doivent tenir compte d’un vecteur de singularité qui puisse permettre à chacun·e de se re-situer et de se découvrir pour qu’iel s’autorise à s’engager pleinement dans des actes dont le résultat n’est pas connu d’avance.
Les pratiques coopératives se sont élaborées progressive- ment selon des modalités variées qui ont engagé·e·s tou·te·s les agent·e·s de la Résidence. Cette édition en présentera quelques aspects.
EXPOSER L’EXPERIENCE /
Deux projets de restitutions viennent jalonner cette expérience. L’un s’est déroulé le 18 avril 2023 à Dionysia, l’autre aura lieu en septembre à la Maison Jaune de Saint-Denis. Ces temps forts invitent donc à penser l’exposition comme une pratique expérimentale dans laquelle se croisent objets, archives, mise en récits, captures sonores, créations en cours ou abouties pour tenter de s’approcher au plus près de cette praxis coopérative dont nous avons parlé. Il ne s’agit pas d’exposer seulement les créations, mais bien les relations qui les ont sous-tendues, ainsi que les processus de rencontre à venir.
Dans le cadre de ce projet atypique, le temps de l’exposition fait sens dans plusieurs directions. C’est un moment de valorisation du travail de co-création qui revêt une importance capitale pour les étudiant·e·s, mais surtout pour les personnes âgées, qui ont parfois tendance à adopter une posture de repli. Il n’est pas rare d’entendre, dans ces lieux d’invisibilisation de la vieillesse, les aîné·e·s dire «Je ne veux pas déranger», exprimer l’envie de disparaître plutôt qu’apparaître... Alors, quand les participant·e·s s’engagent dans cet acte de co-création, c’est justement ce processus d’apparition qui est travaillé. L’apparition d’une relation, l’apparition de connivences au-delà de l’âge, de l’origine, de la classe sociale, l’apparition d’objets, créations en tout genre à mi-chemin entre des univers. Si les personnes se demandent au démarrage ce qu’elles vont bien pouvoir faire et si elles vont y arriver, l’expérience prouve qu’elles se redécouvrent capables. Capables de tout avec la complicité de leur binôme. L’exposition arrive donc comme une reconnaissance puissante de cette capacité d’agir. Exposer hors les murs prend encore davantage de sens et montre que ce qui a été produit peut aussi intéresser d’autres personnes, ail- leurs que dans leur résidence, en dehors de leur cercle familial ; intéresser aussi des enseignant·e·s à ré-envisager les fondements de leurs pratiques.
Le temps de l’exposition est aussi un temps symbolique d’« Au revoir ». C’est la célébration de ce qui a eu lieu, un moment fort pour se dire que ça a existé, mais que maintenant l’aventure se termine. C’est pour cette raison que nous avons pensé l’exposition en deux temps, un premier temps le 18 avril à la résidence Dionysia qui marque la fin des ateliers et de la co-création ; puis un temps dans une structure telle que la Maison Jaune pour se revoir hors les murs, dans une autre institution, en septembre. C’est l’occasion de mettre à distance temporellement et physiquement la création tout en se retrouvant pour célébrer à nouveau nos échanges, avant de se dire vraiment adieu. D’expérience, nous savons que les liens qui se sont créés lors de ce pro- jet ne vont pas disparaître, que certain·e·s vont prendre le temps ou auront besoin de poursuivre les échanges. Cela ne s’incarne pas forcément par la poursuite de la relation telle qu’elle a été expérimentée pendant un semestre, mais peut passer par l’entretien de l’acte de création initié durant le projet, ou le développement d’une nouvelle relation à l’autre, à la culture, à l’art. Bernard a par exemple découvert la pratique de l’aquarelle avec Mingyang et nous l’avons équipé pour qu’il puisse poursuivre la peinture. M. a renoué avec la couture, et imagine rejoindre un groupe de femmes couturières qui se réunit à la Maison Jaune. Mecherki a initié une sortie collective au musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis. Autant d’horizons qui s’ouvrent à l’aune d’une expérience fondatrice et décloisonnante.